Nous saluons les initiatives récentes en faveur l’Habitat participatif en France qui soutiennent les porteurs de projets et leurs partenaires. Elles encouragent l’expérimentation et la recherche de nouvelles pratiques sociales et opérationnelles. Cependant, cet enthousiasme n’est pas une réponse aux inquiétudes des uns ou des autres concernant la faisabilité, la fiabilité et la durabilité des projets. Nous ne disposons que de peu de retours d’expériences pour identifier avec certitude les conditions de réussite qui pourraient guider les groupes, les élus ou les professionnels impliqués. Nous avons décidé de nous renseigner chez nos voisins allemands où l’Habitat participatif se développe depuis 30 ans. Plusieurs milliers de projets réalisés fournissent une matière riche et diversifiée à de nombreuses études universitaires. L’une d’entre elles, menée par une équipe de l’Université de Biberach sur commande de l’Agence nationale pour la Construction et l’urbanisme entre 2007 et 2009, se consacre à la méthodologie de la conduite de projets d’Habitats participatifs. Elle confirme notre vision des principes fondamentaux de la démarche, c’est à dire la présence des futurs habitants dans la phase de la programmation et la conception du projet ainsi que l’action collective qui organise la coopération entre eux. Mais que dit-elle au sujet des conditions de réussite ?
Les auteurs identifient 5 aspects décisifs. Les trois premiers ont été présentés dans nos lettres d'information du printemps 2013.
1 – La capacité sociale des participants et l’identification précise des objectifs communs :
Participer à un tel projet représente un engagement sincère en faveur d’une idée collective ainsi qu’un investissement indéniable, au moins sur le plan social : Construire ensemble, c’est dialoguer et faire des compromis. Choisir c’est renoncer. Etc...
Ces phrases, qui peuvent sembler toute faites, retrouvent d'un coup tout leur sens lorsque les foyers participants se retrouvent confrontés à leurs mises en œuvre dans une culture du quotidien qui prône l’individualisme à outrance. Or, sans cette compétence sociale des ses membres, un projet collectif sombre rapidement dans des confrontations stériles de points de vues et d'intérêts divergents. Les rapports avec les partenaires extérieurs sont d'autres moments où ces compétences s'avèrent comme indispensables. Les interlocuteurs du collectif des habitants agissent selon des logiques propres et avec des contraintes particulières. Savoir "monter sur la colline de l'autre" ouvre la voie vers un dialogue constructif et rend la coopération possible entre tous selon les principe du gagnant - gagnant.
Pour créer les fondations d'une telle pratique sociale engagée, il est notamment conseillé de bien préciser les limites entre la sphère privée et la dimension collective du projet. Toute confusion des limites se paie cher plus tard. S’agit-il d’un projet « Désire », qui cherche le confort rassurant d’une famille de substitution, ou d’un projet « Pragmatique » dont les membres cherchent à anticiper des conflits à venir en rencontrant leurs futurs voisins avant l’emménagement ? Généralement, la vérité de chaque projet se trouve quelque part entre ces deux extrêmes et nous invitons les groupes à définir la position de leur curseur le plus tôt possible.
2 – La qualité de la communication interne et externe :
Pour réussir une initiative, il est nécessaire de réunir un nombre important de personnes et d'acteurs au bon moment et au bon endroit. S’engager dans un projet d'Habitat participatif est un choix important. Cet engagement représente un investissement considérable en termes d'attention, de temps et de finances. Pour entrer en contact avec des foyers intéressésl’information doit circuler largement. Les réseaux sociaux peuvent aider mais une véritable stratégie de communication avec des documents imprimés de qualité, une présence sur internet et la participation à des événements sont généralement indispensable. Cette communication vers le « Grand public » doit souvent s’accompagner d’une démarche en direction des collectivités et d’acteurs professionnels qui sont des partenaires indispensables.
3 - De l'importance de la participation des habitants au développement du projet
Nous abordons l’Habitat participatif comme une situation « gagnant-gagnant » pour toutes les parties prenantes : les citoyens peuvent concevoir et réaliser leur cadre de vie en fonction de leurs besoins et désirs. Les architectes travaillent pour des Maîtres d’ouvrages (les groupes) sensibles à la qualité durable et intéressés par leur créativité. Enfin, les collectivités peuvent mettre en œuvre une politique publique favorisant le lien social et le développement des comportements éco-responsables.
De fait, la planification de ces projets est marquée par la recherche constante d’un équilibre entre les attentes et les contraintes des tous les acteurs. Il s’agit donc d'une approche sociale particulière basée sur le dialogue et l’échange entre des professionnels et les futurs habitants. Le rôle décisionnel de ces derniers dans le projet sera plus ou moins important selon l'espace qui leur est réservé et en fonction des phases auxquelles ils seront associés.
Deux des objectifs de la démarche de l’Habitat participatif sont le développement d’une capacité d’autogestion et l’émergence d’un esprit coopératif parmi les voisins. Cette conscience collective se construit pendant la phase de programmation et de conception architecturale du projet. L’expérience de comprendre et de pouvoir décider ensemble permet l'émergence d'un sentiment d’appartenance à un groupe et rassure. Le projet du « vivre ensemble autrement » commence réellement à ce moment.
Le pouvoir décisionnel du groupe des habitants pendant ces phases sera déterminé par leur capacité à absorber un nombre important d’informations techniques et organisationnelles. Le rôle de l’accompagnateur consiste à préparer ces informations et à les rendre accessibles à tous. Néanmoins, il restera toujours des personnes qui ne seront pas à l’aise avec les problèmes techniques ou opérationnels. C’est ici que le collectif intervient par la mise en place d'une répartition des tâches adaptée à chacun et par la confiance des uns dans les compétences des autres. Sans cette confiance, les groupes courent le risque de se disloquer à la première difficulté ou suite à une incompréhension face à un détail ou à une contrainte technique.
En conclusion, nous pouvons affirmer que la présence des habitants pendant les processus de planification est fondamentale pour l’émergence d’un état d’esprit coopératif et la création d’une nouvelle confiance entre voisins. Et en même temps, cette confiance doit déjà être présente pour assurer un bon développement de ces séquences techniques dès leur lancement. Pour cette raison, nous constatons la nécessité de bien construire la cohésion du groupe ainsi que sa capacité à prendre des décisions bien en amont des phases opérationnelles.
4 - Un environnement favorable
Les porteurs de projets ne disposent pas de la même puissance et infrastructure que les acteurs conventionnels du logement. Leur réussite dépend souvent d’un soutien actif des collectivités. Ce soutien passe évidemment par une reconnaissance de l’utilité sociale de la démarche. Un autre partenaire indispensable est souvent l’aménageur public qui adapte les processus aux conditions particulières de l’Habitat participatif. Enfin, les professionnels doivent également intégrer les particularités de ces projets. Nous pensons notamment aux architectes qui proposent des méthodes de conception partagée. Les bailleurs sociaux, banques, notaires et assureurs sont également sollicités.
Ce n’est que quand l’ensemble des acteurs se met à l’écoute des besoins et attentes des habitants que les projets pourront développer l’intégralité du potentiel de la démarche participative.
Généralement, les membres d’un collectif participent à un tel projet pour la première fois et ne disposent pas forcément de compétences particulières dans les domaines de l’ingénierie sociale ou immobilière. La question se posera un jour : quelles sont les compétences nécessaires pour développer un tel projet et de quelles compétences disposons nous ? Ce bilan mène souvent à la décision de faire appel à un accompagnement professionnel.
L’expérience allemande, pays où l’Habitat participatif est aujourd’hui une pratique courante, démontre sans ambiguïté l’intérêt de l’intervention des professionnels auprès des groupes. Sa présence et ses expériences sécurisent les processus et multiplient ainsi le taux de réussite. D’autre part, elle procurent un véritable confort opérationnel au collectif qui libère de l’espace pour se concentre sur le projet social et les usages de leur futur cadre de vie. En fonction des priorités du collectif, l’accompagnement peut être assuré par un opérateur conventionnel (promoteur ou bailleur social) ou par des structures spécialisées comme Toits de Choix.